Commentaire de la Passion selon St Luc

Commentaire de la Passion selon St Luc
La Passion selon Luc est repérable immédiatement, car un tiers de son texte ne se retrouve dans aucun des trois autres évangiles...

La Passion selon Luc est repérable immédiatement, car un tiers de son texte ne se retrouve dans aucun des trois autres évangiles (soit 41 des 126 versets qui composent Lc 22 et 23). Comme St Luc a rédigé son texte pour en faire un premier « chemin de croix », il n'y a rien d'étonnant à ce que les scènes qui lui sont propres se soient gravées très fortement dans les représentations chrétiennes ! Le dialogue entre Jésus crucifié et le bon larron en est un exemple.
Parcours rapide
La construction d'ensemble de la Passion selon Luc se sépare sur plusieurs points du récit de Marc et présente alors des affinités avec l'Evangile de Jean. Dans la nuit de son arrestation, Jésus est conduit chez le Grand Prêtre où ne se déroule aucun interrogatoire, aucun jugement. Pendant qu'on attend le lever du jour, les trois reniements de Pierre nous sont racontés en un seul bloc; les gardes enfin molestent Jésus le prophète. Ce n'est qu'au lever du jour que Jésus est transféré au local du Sanhédrin qui, de fait, se trouvait sur l'esplanade du Temple et non dans le palais du Grand Prêtre. Le jugement a lieu de jour, conformément à la Loi. L'unique question est de savoir si Jésus se dit Christ et Fils de Dieu. Ce qu'il a dit concernant la destruction du Temple ne joue aucun rôle (comparer avec Mc 14,55-59). Les Sanhédrites se confortent dans leur opinion contre Jésus, mais il n'y a ni témoins, ni surtout sentence de condamnation.
La comparution devant Pilate commence par un énoncé de trois chefs d'accusation graves (Lc 23,2), auquel le gouverneur répond par... une déclaration d'innocence, la première des trois qui structurent le procès (Lc 23,4.14.22). Elle est interrompue par une scène inconnue des trois autres Évangiles : Jésus est conduit chez le roi Hérode Antipas. On y trouve une scène de moquerie (« Jésus est revêtu d'un vêtement éclatant ») qui parait empruntée au récit de Mc 15,16-20 que Luc ne va pas reprendre (Jésus roi couronné d'épines et revêtu de pourpre). La signification de cette scène est à chercher en Lc 21,12 : en étant trainé devant le tribunal juif, le gouverneur romain et le roi, Jésus annonce ce qui sera le lot des disciples, et tout d'abord de Saint Paul en Ac 23 à 26.
Finalement, Pilate « livra Jésus à leur volonté » : on a l'impression, à lire Lc 23,25-26, que ce sont les chefs juifs qui emmènent Jésus pour procéder à l'exécution. De fait, la lecture des Actes des Apôtres nous confirmerait que Luc a tendance à « blanchir » l'autorité romaine et à « charger » les responsables juifs. Puis le trajet au Calvaire est traité pour lui-même et fait l'objet d'un petit discours de Jésus (Lc 23,26-32). Si Jésus en croix prononce trois paroles – inconnues des trois autres Évangiles –, il n'est pas fait mention de deux grands cris, comme en Mc 15,34-37. Supprimant la parole : « Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » – vraisemblablement parce que cette citation du début du Ps 22 ne serait pas comprise de son lecteur et le choquerait , Luc ne reprend pas non plus le jeu de mot sur Élie et déplace l'épisode du vinaigre qui y sont liés en Mc 15,34-36. Alors que tous insultaient le crucifié dans Mc, Luc oppose d'un côté ceux qui l'injurient (les chefs, les soldats, I'un des malfaiteurs) et de l'autre le bon larron, le peuple qui regarde et repartira en confessant son péché (Lc 23,48 à éclairer avec Lc 18,13).
Comme l'onction funéraire n'a pas été faite à Béthanie (Luc n'a pas repris le récit de Mc 14,3-9), il faut que les amies et les parentes de Jésus s'apprêtent à la réaliser (Lc 23,56; 24,1).
Un certain visage de Jésus...
La Passion selon Luc dessine un visage de Jésus très caractéristique. La bonté du maître est soulignée : le voici qui guérit l'oreille coupée de l'un de ses agresseurs (22,51), qui pose son regard sur Pierre pour l'aider à se repentir (22,61), qui pardonne à ses bourreaux (23,34) et promet au larron qu'ils seront ensemble (23,43). Mais ce que Luc met plus que tout en avant, c'est la justice de Jésus. Pilate et Hérode (cf. 23,14-15) proclament son innocence et 1'un des deux malfaiteurs ne dit rien d'autre (23,41). Le Christ lui-même se compare à du bois vert (23,31) et, après sa mort, les gens repartent en demandant pardon à Dieu (23,48). Enfin, Luc transforme la confession de foi du centurion : s'il ôte « Fils de Dieu » au profit de « juste » (23,473, ce n'est pas pour paraitre plus « vraisemblable ». C'est bien que présenter Jésus comme le Juste persécuté est fondamental pour l'auteur du troisième Évangile et des Actes.
... pour un certain comportement des croyants
Souligner, comme le faisait Marc, que Jésus est le Serviteur souffrant, c'était mettre le projecteur sur ce que Jésus a d'unique et d'inimitable. En revanche, en parlant de Juste persécuté Luc peut faire de Jésus un exemple et un modèle à suivre. Je l'ai déjà laissé entendre en mentionnant ci-dessus la comparution de Jésus et de Paul devant les Sanhédrins, les gouverneurs et les rois. Les paroles de Jésus crucifié vont également pouvoir être reprises par Étienne dans son martyre (Ac 7,59-60). Mais avant même d'entrer dans le deuxième tome de l'œuvre, le lecteur de la Passion remarque le grand nombre de paroles et de dialogues qui mettent à jour les applications morales des événements racontés. C'est ainsi que Jésus le Juste exhorte à la conversion (Lc 23,28-31) ou que le bon larron nous apprend à prier à l'heure de notre mort (23,40-42). Simon de Cyrène est le type du disciple qui apprend à « porter la croix derrière Jésus » (23,26). Le récit de l'Agonie (le mot est propre à Luc) s'ouvre et se clôt par l'exhortation à prier... (Lc 22,40-46).
D'autres soucis lucaniens sont présents. L'auteur qui montrera une grande vénération à l'égard des apôtres dans les Actes (cf. par ex. Ac 5,15) ne nous surprend pas en atténuant leur faiblesse lors de la Passion. Dormir lors de l'Agonie devient « être assoupis de tristesse » (Lc 22,45) et 1'évangéliste évite de marquer une progression dans les reniements de Pierre : contrairement à Marc et Matthieu, il ne dit pas que le chef des apôtres « maudit et jure » (cf. Mc 14,71); il rapporte seul la prière de Jésus pour lui (Lc 22,32). Tout dans la rédaction lucanienne indique que la Passion de Jésus n'est pas seulement (et d'abord ? ) un événement du passé. Lecteurs ou auditeurs, nous sommes invités à suivre ce « chemin de croix ».

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• Ce que Luc est seul à raconter :
– Le discours d'adieu après la Cène (Lc 22,24-38; cf. Jn)
– Un ange réconforte Jésus pendant son Agonie. Sueur de sang (Lc 22,43-44)
– Jésus guérit une oreille coupée lors de l'arrestation (Lc 22,51)
– Pilate déclare trois fois l'innocence de Jésus (cf. Jn), la flagellation permettrait de relâcher Jésus (Lc 23,4-5.13-16.22)
– Comparution de Jésus devant Hérode (Lc 23,6-12)
– Dialogue de Jésus avec les femmes de Jérusalem (Lc 23,27-32)
– Les trois paroles de Jésus : Dialogue avec le bon larron (Lc 23,40-43) / Prières à Dieu : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23,34) / « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23,46)
– La contrition des foules (Lc 23,48)
– Préparation des aromates par les femmes (Lc 23,56)
• Ce que Luc ne raconte pas :

– L’onction de Béthanie (cf. Mc 14,3-9)
– L’annonce du scandale et de la dispersion des disciples (cf. Mc 14,27-28)
– La parole sur la destruction du Temple mentionnée devant le Sanhédrin (cf. Mc 14,55-59)
– Une deuxième question de Pilate et le silence de Jésus (cf. Mc 15,4-5)
– Les outrages à Jésus Roi par les Romains (cf. Mc 15,16-20)
– Les moqueries sur le thème de la destruction du Temple (cf. Mc 15,29-30)
– La parole « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » et le contresens des auditeurs (cf. Mc 15,34-35)
– L'autorisation explicite de Pilate de remettre le corps (cf. Mc 15,44 45)

© SBEV. Hugues Cousin


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