Commentaire de St Grégoire de Nysse sur la miséricorde

Saint Grégoire de Nysse
“Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde. » (Mt 5, 7)
« … la progression des béatitudes, les unes par rapport aux autres, nous prépare à nous approcher de Dieu, le bienheureux par excellence, fondement de toute béatitude.Comme nous approchons de la sagesse par ce qui est sage, de la pureté par ce qui est pur, nous nous unissons au Bienheureux par la voie des béatitudes. Or la béatitude appartient véritablement en propre à Dieu. Voilà pourquoi Jacob a dit que Dieu se dresse en quelque sorte au sommet de l’échelle. La participation aux béatitudes n’est donc rien d’autre que la communion avec la divinité, à laquelle le Seigneur nous conduit par ses paroles.[…] La béatitude appelle l’homme à l’affection réciproque et à la compassion, à cause de l’inégalité et les différences des hommes, qui n’ont ni la même condition, ni la même constitution physique, ni les mêmes dispositions dans les divers domaines. La plupart du temps la vie nous offre des situations opposées : la puissance et l’esclavage, la richesse et la pauvreté, la mauvaise et la bonne santé, et toutes les autres différences. Pour permettre à ceux qui sont dans le besoin d’arriver à égalité avec ceux qui ont d’abondantes ressources pour établir l’équilibre entre le trop et le trop peu, la compassion à l’endroit des plus pauvres est indispensable. Il n’est pas possible d’entreprendre de soulager la misère du prochain, si la pitié n’a pas attendri l’âme, de manière à lui en inspirer le désir. Car la compassion est l’opposé de la dureté. L’homme dur et brutal est inaccessible à son entourage, l’homme compatissant et miséricordieux partage avec ceux qui souffre, il s’unit à eux dans l’objet de leurs aspirations…(5e Homélie sur les Béatitudes, 1 – 2)
Il nous est parfois difficile d’avoir de la compassion pour ceux qui sont faibles, d’être miséricordieux et pleins d’amour avec ceux dont les insuffisances nous irritent ! Nous les plaignons, et que de condescendance dans cette fausse attention que nous leur prêtons. Pensons-nous alors parfois à l’amour total que Dieu a pour eux ? Ne sentons-nous pas le contraste entre cet amour de Dieu pour tous, pour les plus pauvres et les plus faibles en priorité, et notre compassion qui frôle très souvent le mépris ? Nous nous comportons souvent comme le pharisien de l’Evangile qui remercie Dieu (oui, il ose même rendre grâce !) de ne pas être comme le publicain qui n’ose s’avancer et qui implore la miséricorde de Dieu. Croyons-nous que nous aussi nous n’avons pas besoin de cette miséricorde ? Trop sûrs qu’elle nous est accordée au nom de nos mérites, alors qu’elle nous est donnée par grâce (parce que l’amour de Dieu est gratuit et n’attend pas nos mérites – qu’il risquerait d’attendre longtemps !), nous ne pensons même pas à implorer Dieu. Pourquoi implorer Dieu, pourquoi demander alors qu’il sait ce qui nous est nécessaire ? Comme l’explique Augustin, il ne s’agit pas de dire à Dieu ce que nous désirons (comme s’il pouvait l’ignorer), mais bien plutôt d’exciter notre désir par la prière : « Dieu notre Seigneur ne veut pas être informé de notre désir, qu’il ne peut ignorer. Mais il veut que notre désir s’excite par la prière, afin que nous soyons capables d’accueillir ce qu’il s’apprête à nous donner. Car cela est très grand, tandis que nous sommes petits et de pauvre capacité ! » (Lettre à Proba, 15). Il s’agit donc d’élargir notre coeur, de le vider de tout ce qui l’encombre, et en premier lieu de le vider de nous qui le remplissons de notre suffisance ! Pour élargir déjà notre cœur au moins à la dimension du monde – ce qui est encore bien insuffisant pour contenir Dieu – quoi de meilleur que de regarder et d’aimer notre proche, en cessant d’abord de jauger ses capacités ou de le juger sur les apparences ? Chaque fois que nous aimons « le plus petit », c’est le Seigneur que nous aimons, et nous oubliant pour celui qui est près de nous, c’est le Christ que nous accueillons. Rappelons-nous cette parole de Jean dans sa première épître : « Si quelqu’un dit: « J’aime Dieu » et qu’il déteste son frère, c’est un menteur: celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas. (1Jn 4, 20).

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